Avec la nouvelle Cité administrative d’Amiens, la préfecture de la Somme a voulu montrer l’exemple. Labellisé « Bâtiment Passif » et mobilisant plusieurs tonnes de matériaux biosourcés, le projet conçu par Bouygues Bâtiment Grand-Ouest, ArtBuild et Energelio dépasse en effet les ambitions de la RE2020.
Deux bâtiments, une méthode
Elle est présentée comme « la Cité administrative du XXIe siècle ». Livrée le 23 décembre 2023, – un jour après sa grande sœur lilloise –, la Cité administrative d’Amiens est conçue pour accueillir 14 services, soit environ un millier d’agents, ainsi qu’un restaurant et une crèche. Bâtie sur deux terrains distincts situés entre les voies ferrées de la gare et les berges de la Somme, elle est le fruit d’un marché public global de performance (MPGP). Une commande publique remportée
par un groupement mené par Bouygues Bâtiment Grand Ouest réunissant notamment les architectes de ArtBuild et le BEThermique Energelio. « Les maîtres d’ouvrage attendaient clairement des équipes en lice qu’elles proposent un projet largement biosourcé. Mais c’est peut-être notre bonne connaissance du Passif [à Bruxelles, où se trouve l’une des antennes d’ArtBuild, le standard est entré dans la réglementation pour le neuf, ndlr] », analyse Steven Ware, architecte associé de l’agence lauréate.
Côté cour, le rez-de-chaussée du plus grand bâtiment présente de généreux murs rideaux surplombés de deux passerelles, l’une ouverte, l’autre couverte. Celle-ci est maintenue à une température entre 10 et 12°C et équipée d’ouvrants pilotés par la GTB pour ventiler naturellement l’été. Si ces éléments architecturaux contribuent à la qualité du projet, ils auraient pu nuire à la performance thermique (surfaces déperditives, ponts thermiques, masques, etc.). Pourtant, « ils restent des épiphénomènes sur un projet de cette taille et n’ont donc pas eu une grosse incidence dans nos calculs », tempère Christophe Ghillebaert.
© Nicolas Grosmond
Séparées d’une rue, les deux parcelles ne se prêtent ni aux mêmes gabarits, ni aux mêmes implantations. La plus petite accueille un seul volume de 6 025 m² SRE exposé est/ouest, quand la plus grande reçoit un bâtiment de 10 658 m² SRE composé de deux blocs orientés nord/sud et reliés par un rez de chaussée commun et deux passerelles. Malgré ces disparités, l’ensemble du projet est traité uniformément par le BEThermique : « nous avons mis en œuvre exactement les mêmes réponses sur les deux lots. On a d’abord dimensionné l’enveloppe sur le bâtiment le plus vaste, où se trouvent les cuisines [poste le plus énergivore dans un projet passif, ndlr] et dont le besoin de chauffage avoisine finalement 14 kWh/(m²a). Puis, nous avons calqué les solutions sur le second, où l’on atteint un besoin aux alentours de 12 kWh/(m²a). Par économie, la maîtrise d’ouvrage aurait pu demander de revoir les ambitions du projet le plus efficient à la baisse, mais elle ne l’a pas fait », se réjouit Christophe Ghillebaert, cogérant d’Energelio.
Pour toute la Cité administrative, le système constructif est donc le suivant : enveloppe porteuse en béton préfabriqué isolée par l’extérieur en laine minérale (murs et toiture), PU (toiture) et fibrastyrène (dalle). Les planchers intermédiaires sont quant à eux en CLT, ce qui représente tout de même 9 500 m² de bois, contribuant largement à l’obtention du label « Bâtiment Biosourcé » niveau 3.
Soumis à des règles d’implantation strictes, les terrains ont conduit les ingénieurs à rappeler aux architectes, dès le début de la phase de conception, l’importance de définir les épaisseurs d’isolant appropriées. Ici, les murs porteurs préfabriqués en béton – pour l’inertie, « importante dans un projet de bureaux comme celui-ci, où il y a beaucoup d’apports internes » –, sont isolés à l’extérieur par 220 mm de laine minérale (R = 6,85 m²K/W) ; les toitures terrasses par 240 mm de polyuréthane ; les plancher bas, en majorité sur parking, par 275 mm de fribrastyrène, matériau sandwich composé d’une âme PSE entre deux parements de fibres de bois.
© Nicolas Grosmond
Équipée de plusieurs CTA certifiées PHI disséminées un peu partout dans l’enveloppe, la Cité est pourvue de panneaux rayonnants suspendus et raccordée aux réseaux de chaleur et de refroidissement urbains. Dans les salles à forte occupation, des sondes permettent de contrôler et réguler le taux de CO2. Les menuiseries triple vitrage sont en bois. « Pour un bâtiment de bureaux, le nombre d’ouvertures est très maîtrisé », souligne Christophe Ghillebaert. Une frugalité en menuiseries liée au travail méticuleux des architectes qui ont équilibré la taille et la position des fenêtres en fonction des aménagements intérieurs, des vues et des besoins de lumière.
© Nicolas Grosmond
Le diable se cache dans les détails… de façade
Hormis le socle, habillé d’un parement métallique, toutes les façades de la cité sont revêtues de tuiles. « Ce matériau fait écho à la brique omniprésente à Amiens. Les 7 500 m² de tuiles sont produits localement, en Picardie. Nous avons choisi une finition avec un émail blanc pour favoriser l’albedo », glisse Steven Ware. Au-delà de l’albedo, ces tuiles ont une autre incidence sur les performances thermiques du projet, comme l’explique Christophe Ghillebaert : « quand on travaille sur une ITE, comme c’est le cas ici, il faut être très vigilant sur les systèmes de fixation du bardage qui peuvent créer des ponts thermiques significatifs. Sur Amiens, nous avons mis des équerres Isolco HP de chez Etanco car leur forme permet d’en utiliser moins. Sur tout, elles sont en inox, matériau trois fois moins conducteur que l’acier. Au total, on a gagné 6 cm d’isolant grâce à elles. » Le calcul est vite fait : à l’échelle de toute la réalisation, cela représente une économie de 450 m3 d’isolant.
Autre subtilité du projet : la labellisation. En effet, le restaurant et la crèche prévus au cahier des charges n’ayant pas encore trouvé preneurs, les centrales de ventilation n’y ont pas été installées. Il a alors fallu exclure ces locaux de l’enveloppe thermique du périmètre de labellisation, tout en s’assurant que les volumes mitoyens disposent d’une puissance de chauffe suffisante pour pallier leur inoccupation. Une péripétie supplémentaire mais surmontée : le projet a bien obtenu la certification « Bâtiment Passif Classique ». Un critère évidemment essentiel pour prétendre au titre de « Cité administrative du XXIe siècle »…
Les ouvertures des façades ouest, est et sud sont équipées de brise soleil orientables. Au nord, les thermiciens se sont contentés de stores occultants intérieurs. Si ces protections solaires peuvent être contrôlées par les usagers, elles sont également pilotées par la GTB. « Il a fallu ajuster les paramétrages dans les semaines qui ont suivi la livraison, car le bâti ment reprenait trop souvent la main sur les occultants. Toutes les 2 heures, c’est entendable pour l’usager. Plus, c’est contraignant. Le but, c’est quand même que les gens se sentent bien, tant pis si le prix à payer est de quelques kilowattheures… » relativise l’ingénieur.
© Nicolas Grosmond
Les principes de biophilie sont au cœur de la pratique des architectes de l’agence ArtBuild. « La biophilie, c’est l’intégration du vivant dans l’environnement bâti, explique Steven Ware, biologiste de formation. C’est une véritable science dont on a mesuré les bénéfices : diminution du stress, de l’absentéisme, augmentation de la concentration… ». Dans ce projet où chaque volume est conçu exactement selon le même plan « en peigne » pour permettre aux usagers de s’orienter facilement où qu’ils se trouvent, les principes de la biophilie sont notamment incarnés par la mise en œuvre du bois et la végétalisation.
FICHE TECHNIQUE
Livraison décembre 2023 – localisation Amiens, Somme – label Bâtiment Passif Classique – surface de référence énergétique 10 657,80 et 6 024,62 m² – coût des travaux 3 100 euros HT/m² SRE (conception/réalisation) – besoin de chauffage 14,19 et 11,48 KWh/(m²a) – puissance de chauffe 10,70 et 9,42 W/m² – besoin de refroidissement 0,82 et 1,09 KWh/(m²a) – puissance de refroidissement 3,91 et 3,91 W/m² – test d’infiltrométrie n50 = 0,50 et 0,49/h – consommation d’énergie primaire 112 et 106 KWh/(m²a) – consommation d’énergie primaire renouvelable 73 et 65 KWh/(m²a) – rendement moyen VMC double-flux 85 % – châssis triple vitrage Uw = 0,94 W/(m²K) – murs extérieurs ossature béton, laine minérale, bardage. U = 0,165 W/(m²K) – dalle plancher bas béton sur parking, fibrastyrène. U = 0,116 W/(m²K) – toiture béton, PU. U = 0,089 W/(m²K)


