Représentante de la jeune génération d’architectes, Cloé Simon est la fondatrice de l’Atelier Fyri, en Normandie. Avec passion et conviction, elle nous a raconté comment et pourquoi elle a fait du passif la pierre angulaire de sa pratique. Elle nous a dit son goût pour la rénovation et les vieilles bâtisses, et nous a fait découvrir ses derniers projets. Rencontre.
Représentante de la jeune génération d’architectes, Cloé Simon est la fondatrice de l’Atelier Fyri, en Normandie. Avec passion et conviction, elle nous a raconté comment et pourquoi elle a fait du passif la pierre angulaire de sa pratique. Elle nous a dit son goût pour la rénovation et les vieilles bâtisses, et nous a fait découvrir ses derniers projets. Rencontre.
La Maison du Passif : Pourriez-vous revenir sur votre parcours ?
Cloé Simon : Diplômée de l’École nationale supérieure d’architecture de Normandie, je suis architecte depuis 2016. À la fin de mes études, j’ai directement intégré l’agence rennaise Quinze Architecture. J’y suis restée 8 ans ; c’est pourquoi je n’ai fait quasiment que du passif dans toute ma carrière [l’agence Quinze Architecture est spécialisée dans le passif – son nom évoquant d’ailleurs les besoins maximums en chauffage d’un bâtiment passif, NLDR]. Chez eux, je travaillais pratiquement sur tous les projets de rénovation passive.
En 2023, j’ai fondé en Normandie mon propre studio, l’Atelier Fyri, spécialisé en réhabilitation du patrimoine et bâtiments passifs et biosourcés.
« En quelques semaines, j'ai compris que le passif était un monde en soi et que j'allais devoir reprendre les bases de tout ce que l'on m'avait enseigné. »
Comment avez-vous découvert le passif ?
Pas en école d’architecture, où l’on ne nous parlait pas du passif ; c’est comme si le concept n’existait pas. Peut-être que les choses ont changé, mais à l’époque les problématiques écologiques n’étaient abordées que sous l’angle des matériaux, et de manière superficielle. Quand je suis arrivée chez Quinze, je connaissais donc vaguement le passif. En quelques semaines, j’ai compris avec Thomas, le fondateur de l’agence, que le passif était un monde en soi et que j’allais devoir reprendre les bases de tout ce que l’on m’avait enseigné. C’était aussi fascinant que compliqué. À présent que j’ai les clefs et les outils pour faire du passif, c’est toujours fascinant, mais beaucoup plus simple !
La méthode de conception passive vous a-t-elle immédiatement convaincue ?
Je me souviens qu’à mes débuts, j’avais davantage foi dans les matériaux biosourcés. Avec le temps, j’ai essayé de comprendre pourquoi. J’ai l’impression que ma génération d’architectes, celle de ceux qui ont aujourd’hui la trentaine, a grandi dans l’urgence environnementale. Pour nous, il s’agit de “faire propre direct”. C’est comme si le cycle de vie global nous semblait moins important que l’énergie grise consommée pour construire, en quelque sorte. Autrement dit, on aura plus de difficultés à concevoir un projet passif en béton et laine de verre – qui ne consommera donc plus rien durant le reste de sa vie –, qu’une passoire thermique 100 % biosourcée. Évidemment, on peut trancher le débat et mettre tout le monde d’accord en faisant du passif avec du biosourcé. Il n’empêche que le passif a un avantage scientifique : il ne repose pas sur des normes éditées par on-ne-sait-qui. C’est de la science. C’est de la physique. C’est ce que je trouve absolument génial dans cette méthode de conception. D’ailleurs, quand on réalise que l’on sait aujourd’hui très bien concevoir des bâtiments qui ne consomment quasiment rien, on se demande pourquoi tout le monde ne fait pas du passif… Pour moi, ce devrait être la base.
« Le passif ne repose pas sur des normes éditées par on-ne-sait-qui. C’est de la science. C’est de la physique. »
La rénovation occupe une place centrale dans votre pratique. Pourquoi ?
C’est un sujet qui me passionne et que j’adore ! J’ai toujours été attirée par les bâtiments en pierre, les charpentes et les planchers en chêne, les murs en terre… Il y a une petite étincelle en plus que le neuf n’a pas. À l’école, j’avais choisi un Master spécialisé dans la réhabilitation [DE “Trans-Form, construire avec l’existant”, NDLR] car à l’époque déjà, je trouvais que cela avait beaucoup plus de sens de réhabiliter que de construire neuf ; il y a tellement de constructions existantes qui ne demandent qu’à être rénovées, c’est du gâchis. Je pourrais vous dérouler une liste longue comme le bras pour défendre la rénovation tellement ce sujet concentre d’intérêts : les matériaux, leur beauté, leurs propriétés, sans parler bien sûr des avantages écologiques.
C’est d’ailleurs dans cette perspective que je dirige aujourd’hui ma propre agence, l’Atelier Fyri. Je préfère ne pas construire du tout que de construire de manière “classique”. C’est pourquoi je ne travaille que sur des projets qui s’inscrivent dans une approche environnementale : par le passif quand c’est possible ou alors via des rénovations avec des matériaux biosourcés visant un niveau a minima BBC. Bien sûr, le combo passif/rénovation/biosourcés est idéal, mais les projets aussi exigeants sont rares…
On entend parfois dire que la rénovation en passif, c’est compliqué…
On l’entend oui. Mon mémoire de HMONP [formation de l’architecte diplômé d’État à l’habilitation à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en son nom propre, NDLR] portait sur deux rénovations passives sur lesquelles je travaillais à l’époque. Je me souviens que les jurés, qui étaient pourtant des architectes expérimentés, n’arrivaient pas à concevoir que l’on pouvait faire du passif dans une rénovation. Alors que c’est tout à fait possible ! Les gens se font un monde du passif, de la technique que cela implique. Ils ont l’impression que c’est une usine à gaz, alors qu’en fait ce sont simplement des clefs et des outils qu’il faut apprendre à maîtriser. Le jeu reste le même, il faut simplement apprendre à jouer avec des nouvelles règles…
« Les gens se font un monde du passif, de la technique que cela implique. Ils ont l’impression que c’est une usine à gaz, alors qu’en fait ce sont simplement des clefs et des outils qu’il faut apprendre à maîtriser. »
En tant que représentante de la jeune génération d’architectes, comment pensez-vous que l’on parviendra à généraliser le passif ?
Il faudrait d’abord que le passif soit beaucoup plus enseigné en école d’architecture : il faut essayer d’apporter le savoir technique aux jeunes architectes. Et puis il faut aussi déconstruire l’image erronée que les gens ont du passif. On pense que c’est ultra complexe, que les projets sont moins beaux et moins bien intégrés à cause des menuiseries épaisses, des couches d’isolant… Parce que tout y est souvent plus épais, on présume que l’architecture passive est forcément pataude… Alors qu’en réalité, après avoir travaillé sur quelques projets passifs, on en comprend et en acquiert les codes. On réalise alors que c’est un nouveau challenge, rien de plus, et que l’on peut dessiner de la très belle architecture avec du passif. C’est par l’esthétique, en montrant de beaux projets passifs aux architectes que l’on parviendra à les convaincre.
Enfin, les a priori sur le budget aussi doivent être déconstruits. On croit à tort que tout le budget va passer dans le passif. C’est vrai, le passif coûte souvent plus cher mais le surcoût pour un projet individuel est de l’ordre de 10 ou 20 % maximum, et non de 50 %…
Le passif dans 5 ou 10 ans, comment le voyez-vous ?
Dans un monde idéal, je le vois en réglementation thermique obligatoire. Ce serait bien. Je n’y crois pas du tout, mais dans un monde idéal ce serait bien. Au moins pour le neuf… Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi ce n’est pas déjà le cas. L’ennui, c’est que le neuf ne représente que 1 % du taux de renouvellement des bâtiments chaque année. De fait, même si les normes qui sortent, comme la RE2020, vont dans le bon sens, leur impact reste très léger. L’essentiel de notre patrimoine bâti reste des passoires thermiques. Il faut donc mettre l’accent sur la rénovation. Cela ferait sûrement grincer des dents les Architectes des bâtiments de France à cause des isolants, mais il y a un moment où il faut choisir ses priorités…
«C’est par l’esthétique, en montrant de beaux projets passifs aux architectes que l’on parviendra à les convaincre. »
Est-ce qu’il y a un projet passif qui vous a particulièrement marquée ?
J’en ai au moins deux qui me viennent en tête. Je pense à la réhabilitation d’un moulin du XVIIIe que j’ai réalisée chez Quinze Architecture. C’était un projet très complexe, notamment au regard du patrimoine existant. Complexe, mais pas compliqué. La conception a été riche et intense, parce qu’on a été très loin dans les détails, même sur le chantier. Chaque élément, chaque mur de la maison est différent. Ce projet, c’était du tricotage. Cette opération a été pour moi un déclic : j’ai compris que toutes les rénovations étaient possibles en passif, à condition de se donner les moyens intellectuels d’y parvenir.
L’autre projet qui m’a marquée est la rénovation lourde d’une maison individuelle à Montgermont, en Ille-et-Vilaine. Avant l’intervention, le pavillon existant était tout ce que l’on peut trouver de plus classique : de l’enduit, de l’ardoise, un plan carré. C’est aujourd’hui une maison extrêmement contemporaine, avec de grandes ouvertures, une verrière, du bardage bois. Difficile d’imaginer, quand on la voit de l’extérieur, qu’il s’agit d’un projet passif. Pour moi, ce projet démontre que le passif n’annihile pas le rôle de l’architecte ; au contraire, il doit être omniprésent pour concilier technique et esthétique.
En préparant cette interview, vous nous confiiez être sur le point de suivre une formation CEPH. Comment se passe votre formation ?
Je m’attendais à ce que ce soit techniquement intense et difficile. Pourtant, je n’avais clairement pas imaginé un dixième de ce que ça allait être ! (rires) J’ai néanmoins très hâte de voir la suite : c’est fascinant parce que l’on découvre les rouages du PHPP, logiciel que les thermiciens du passif utilisent tous les jours. Surtout, la formation me donne des arguments encore plus solides pour convaincre mes potentiels clients. Ce que j’avais appris par la pratique, je le revois aujourd’hui de manière théorique. Je sais scientifiquement pourquoi tel pont thermique est plus grave que tel autre, pourquoi il faut changer cet isolant, etc. Après seulement deux jours de formation, nous avons vu des exemples que j’ai déjà pu intégrer à mon discours en rendez-vous client.
« J’ai compris que toutes les rénovations étaient possibles en passif, à condition de se donner les moyens intellectuels d’y parvenir. »
Quels étaient vos objectifs en vous inscrivant à cette formation ?
Il s’agit d’abord d’avoir le titre CEPH [Concepteur/Conseiller Européen Bâtiment Passif, NDLR] que j’espère être un moteur pour mon entreprise. C’est aussi une forme d’accomplissement, comme si je validais mes années de pratique du passif. Enfin, comme je le disais tout à l’heure, c’est un moyen de renforcer mon argumentaire. Par expérience, je sais que les clients qui viennent voir un architecte pour faire expressément du passif sont rares. Dans la moitié des cas au moins, surtout dans les régions moins engagées sur le plan écologique, l’idée vient de l’architecte. D’où l’importance d’avoir de bons arguments…
Pour conclure, pourriez-vous nous parler de l’un de vos projets récents ?
J’ai récemment travaillé sur la rénovation d’un vieux bâtiment, une sorte d’écurie/corps de ferme, datant de la fin du XIXe siècle et qui a été rénové au niveau BBC [voir photographies illustrant cette interview, NDLR]. Avant, les consommations de ce joli petit bout de bâtiment en pierre étaient de 350 kWh/(m²a). Aujourd’hui, après travaux et la pose d’un poêle à bois, elles sont de 37 kWh/(m²a), donc divisées par dix, ce qui est quand même très chouette. D’autant plus que nous avons pu privilégier des matériaux biosourcés : enduit chaux, chaux pouzzolane pour traiter l’hygrométrie, parquet liège… Ce, tout en conservant la pierre apparente à l’intérieur via le choix d’une isolation par l’extérieur (ITE) en laine de bois avec un bardage en claire-voie traité avec de l’huile de lin. Surtout, ce projet me fait dire que l’on peut réaliser de beaux projets à partir de budgets raisonnables : avec 170 000 euros, je peux rénover ma maison, lui donner une esthétique contemporaine, utiliser des matériaux sains, le tout en divisant ma consommation énergétique par dix… C’est la preuve que le passif, ce n’est pas aussi cher et complexe qu’on veut le croire !
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